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Résumés

Le résumé des communications est disponible ci-dessous, par ordre alphabétique d'auteur :

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Annabelle Amory (Université Lille III - HALMA)- Lara Croft est-elle vraiment archéologue? Les mondes grec et romain à travers le prisme de Tomb Raider

Depuis la sortie de son premier opus en 1996, la saga Tomb Raider a fédéré des millions de joueurs autour d'elle, et pas seulement à cause du tour de poitrine polygonal de son héroïne Lara Croft. Ce qui fait le succès de la franchise, c'est le principe même de son jeu : l'exploration. En effet, ne l'oublions pas, Lara Croft est à la base archéologue de formation, comme le signalent ses biographies officielles insérées dans les manuels de jeu. Cependant, tout au long des dix titres qui garnissent son CV, nous la voyons plus dégainer les uzis que la truelle.

Si Lara Croft est au cœur de l'aventure Tomb Raider, les scénarios et les décors ne sont pas en reste. Le personnage principal évolue au cœur de différents récits légendaires à travers des cités mythiques, dont certains sont inspirés de la Grèce et de la Rome Antique.

Grâce à l'étude des niveaux et des trames de Tomb Raider 1, 4 (La Révélation Finale), 5 (Sur les Traces de Lara Croft), et Anniversary (remake du premier opus pour fêter les 10 ans de la franchise), nous analyserons l'utilisation de l'Antiquité classique dans le cadre d'un jeu vidéo d'aventure et d'action. Plusieurs problématiques intéressantes s'offrent ainsi à nous : tout d'abord, les histoires et les lieux recréés en 3D ont-ils un véritable fondement scientifique ? Ensuite, quelles transformations ces éléments antiques ont-ils subi pour s'adapter au format du jeu vidéo ? Enfin, nous analyserons les différences entre les niveaux de Tomb Raider 1 et Tomb Raider Anniversary pour étudier l'évolution du graphisme dans le jeu vidéo et comprendre son impact sur la reconstruction d'un monde antique. 

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Laury André (HiSoMA) - L'Antiquité de chair et d'encre : une réception vivante, le tatouage

Le tatouage comme pratique sociale et artistique est désormais reconnu dans notre société contemporaine : l'exposition Taoueurs. Tatoués, au Musée du Quai Branly, les interventions de Tin-Tin sur France Culture et les travaux d'Anne & Julien notamment à la Halle Saint-Pierre pour ne citer qu'eux en France, ne font que confirmer l'entrée du tatouage contemporain dans le domaine de l'Art et de l'espace muséal qui le sanctifie en tant que tel. Ainsi, l'approche que nous pouvons avoir du tatouage n'est plus cantonnée à la seule sphère anthropologique, historique ou sociologique.

Mais peut-on pour autant engager une démarche d'historien ou de philosophe de l'art sur la question ? Certes, il ne fait aucun doute que le tatouage, à l'heure actuelle, a une existence suffisamment longue – et un héritage historique et anthropologique – dans nos sociétés contemporaines pour avoir donné naissance à divers courants esthétiques (Tribal, Old School, New School, Bio-méchanical, Réaliste etc.), issus tout à la fois des progrès techniques, des évolutions des motifs, de leur symbolique ainsi que du public tatoué. Après une enquête auprès de dizaines de tatoueurs et de tatoués en France, en Europe, en Russie et aux Etats-Unis, un phénomène a marqué tout particulièrement la spécialiste de l'Antiquité que je suis : la place singulière qu'occupe les motifs antiques au sein de motifs à la mode actuellement. Qu'ils soient plus ou moins demandés selon les pays, les positions sociales ou les goûts des tatoueurs ou des tatoués, que la tatouage à motif antique soit seul mis en valeur ou qu'il entre dans la composition d'un corps totalement tatoué on observe une constante : l'Antiquité crée la différence, assure la singularisation de l'individu au sein de la « communauté normative » des tatoués (Le Breton).

La présente enquête tentera alors de mettre au jour ces processus de singularisations qui font du tatouage contemporain précisément l'inverse, sur le plan social, que ce que les sociologues ont démontré : une banalisation et une normalisation involontaire du sujet et de son identité. L'Antiquité de chair et d'encre en tant que réception vivante serait-elle une actualisation de cet « homme spéculaire » dont parle Richard Rorty ? Nous tenterons de montrer comment, par un subtil effet retour et un dialogue croisé au-delà des frontières chronologiques, le tatouage dans l'Antiquité et le tatouage antique actuel, peuvent contribuer, par leur dialogue, à ouvrir le discours Esthétique à une lecture ultramoderne de l'Art du tatouage et à une théorie contemporaine de la réception de la matière antique.

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Laurent Anglade (Université de Perpignan - Archimède) - La représentation de l'Antiquité dans les jeux vidéo dits historiques

La plupart des études réalisées sur les relations entre l'Antiquité et les cultures populaires se sont souvent focalisées sur les péplums. Les auteurs qui se sont penchés sur les jeux vidéo ont remarqué qu'ils répondent aux mêmes mécanismes que les péplums : perpétuer un imaginaire antique largement fantasmé. Cependant, dans les milieux des jeux de stratégie, les éditeurs et les développeurs mettent en avant « l'historicité » de leurs jeux, tant dans leurs publicités que pour le contenu du logiciel. Il existe donc ici une différence notoire avec les peplums, pour qui l'historicité est plutôt secondaire. Il est donc intéressant de voir si cette sorte de jeux vidéo amène une nouvelle forme de relation entre culture populaire et antiquité.

 D'abord, l'intervention reviendra sur les origines du jeux de stratégie, c'est-à-dire le Kriegsspiel prussien du début du XIXème siècle. Le Kriegsspiel est une volonté de retranscrire, avec précision mais de manière ludique, les batailles européennes de cette époque. Il y a donc une vocation de reproduire « fidélement » un contexte historique donné. Les jeux de stratégie de plateau, puis vidéoludiques, sont issus du Kriegsspiel et ils héritent donc des mécanismes et des volontés apparues autour de cette forme.

Le contexte historique établi, l'intervention présentera les principaux jeux de stratégie qui manifestent une intention « d'historicité ». Ce thème publicitaire prend plusieurs formes qu'il convient d'analyser : d'abord, des publicités nombreuses dans des revues d'histoire vulgarisées ; ensuite, la communication de conseillers historiques embauchés et censés apporter une caution d'historicité ; enfin, des présentations vidéos comparant les faits vidéoludiques à ceux de l'Histoire.

Cependant, il faut remarquer que seul l'aspect extérieur de ces jeux vidéos est abordé. Si on s'intéresse à l'historicité réelle de ces média, il en va tout autrement. D'abord, qu'en est-il de la méthodologie historique, notamment l'usage d'une biographie et la mention des sources utilisées ? Ensuite, quel usage est-il fait des "contextes historiques", par exemple l'utilisation, pour la Rome antique, des aspects visuels (équipement militaire) et des questions sociales (réforme de Marius). On constate alors qu'aucun jeu vidéo dit « historique » ne l'est réellement. Ces jeux vidéos renvoient non pas à une historicité mais plutôt à un imaginaire antique à la fois vraisemblable et fantasmé. Ainsi, malgré une volonté de se démarquer du péplum, pour qui l'histoire est un prétexte, les jeux vidéos de stratégie font de l'histoire le même usage.

Enfin, la dernière partie de l'intervention portera sur l'émergence de contre-exemples, qui émergent dans des subcultures populaires : les modifications (« mods »). Europa Barbarorum revendique ainsi l'historicité comme argument ludique. Contrairement aux jeux vidéos, la méthodologie est exposée, et les développeurs fournissent une large bibliographie scientifique. L'aspect intérieur est très loin d'être négligé, puisque les auteurs antiques (Strabon, Tite-Live etc.) sont cités. L'exemple romain sera repris, pour montrer que, cette fois-ci, les intentions d'historicité sont bien respectées.

C'est ici la preuve qu'il existe une volonté, et une possibilité, de relier culture populaire et l'Antiquité « historique ».

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Tiphaine-Annabelle Besnard (Université de Pau et des Pays de l'Adour - UPPA) - L'Empire des citations : vers un art contemporain "néo-classique"?

Certes, l'idée du retour à l'Antique, est, en un sens, omniprésente dans l'histoire de l'art occidentale au point qu'elle peut sembler en rythmer les principaux temps forts - pensons aux moments Raphaël, Poussin, David, Ingres, voire le retour à l'ordre des années 1920. Les modalités du retour à l'Antique dans l'histoire de l'art ont donc certes été amplement étudiées, mais ce n'est pas le cas pour la période contemporaine, voire très contemporaine (à partir des années 1980).

Comment doit-on envisager la survivance de la référence gréco-latine ? S'agit-il de pastiche, de détournement ? In fine, le questionnement sur le lien entre art contemporain et Antiquité mène à la réflexion suivante : peut-on définitivement caractériser l'histoire de l'art occidentale comme un éternel retour à l'Antiquité classique ? 

Les approches théoriques de l'art et l'esthétique seront mises à profit afin d'embrasser un sujet qui touche à la fois à l'histoire sociale de l'art, à l'histoire du goût mais aussi à l'histoire de l'histoire de l'art à travers une réflexion sur les modes d'écriture de l'histoire de l'art. Ainsi, nous serons amenés à évoquer une « post-modernité » où la rupture avec l'utilisation de l'antique comme référence vivifiante est certaine. Effectivement, à de rares exceptions près, les artistes ne cherchent pas à imiter les Anciens. Aussi, nous envisagerons deux notions clés que sont la « basse » et la « haute culture » : la première, à l'origine d'une Antiquité transposée et pastichée, la deuxième, à l'origine d'un art antiquisant intellectuel. 

Les exemples d'œuvres seront choisis judicieusement, issus de ma base de données. Pour ne citer qu'eux, je pense aux artistes Eleanor Antin, Pierre & Gilles ou bien encore Meekyoung Shin. Ce projet de communication s'inscrit effectivement pleinement dans la thèse de doctorat que je mène depuis octobre 2014 à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour (L'éternel retour à l'Antique : survivances grecque et romaine dans l'art contemporain à partir des années 1980, sous la direction de Madame Sabine Forero Mendoza, Professeure d'Esthétique et d'Histoire de l'art contemporain).

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Fabien Bièvre-Perrin (Université Lyon 2 - IRAA) - Divas pop, reines et déesses antiques

Depuis l’explosion des clips vidéo à l’aire de MTV dans les années 1980, l’Antiquité se mêle continuellement à l’histoire de la pop music. Fréquemment utilisée même auparavant à coups de pochettes kitchissimes, la référence à l’Antiquité dans la promotion de la musique populaire s’anime et s’insère dans tous les aspects visuels de la musique. Le marketing est friand d’images qui parlent facilement au public, faisant écho aux grands succès du cinéma comme aux grandes figures du passé (avec une préférence pour l’Égypte pharaonique). Mais c’est à partir des années 2000 que le thème devient un classique du vidéo-clip, et ce principalement dans le cadre de la promotion des artistes féminines. La seule Cléopâtre est imitée par Madonna, Katy Perry, Beyoncé ou Britney Spears, mais les références sont multiples, et si l’Égypte remporte la palme de la civilisation la plus citée, l’Antiquité romaine, légèrement délaissée au profit de l’Antiquité grecque, est aussi très présente, par exemple dans les clips de Lady Gaga ou Kylie Minogue.

Pourquoi l’Antiquité est elle appelée par ces divas de la musique pop au service de leur promotion alors qu’elle a aujourd’hui tendance à disparaitre des programmes éducatifs ? Quels sont les échos et significations de cette référence aujourd’hui dans le marketing de la musique mainstream ? L’Antiquité est une dystopie dans laquelle les femmes ont pris le pouvoir : l’histoire est revue et corrigée en l’honneur des chanteuses puissantes d’aujourd’hui qui veulent affirmer leur intemporalité.

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Michel Briand (Université de Poitier - FoReLL) - Le queer antiquisant, Pierre et Gilles et Trajal Harrel

La référence à l'Antiquité, dans les arts visuels et scéniques d'aujourd'hui, peut parfois correspondre paradoxalement à un mouvement d'écart (selon les termes de Fl. Dupont), un déplacement oblique ou une torsion qui questionne une culture contemporaine finalement académique, abstraite, de trop « bon goût », ou trop peu ludique, tout en s'y intégrant activement, y compris avec un double succès commercial et critique. Cette tension peut être marquée par des effets et procédés relevant de catégories discursives ou performatives comme le camp ou le queer, sous leurs aspects esthétiques, éthiques, anthropologiques, politiques, indissociables et assez répandus dans la culture dite populaire comme dans certains mouvements parfois qualifiés de post-modernes.

On s'intéressera à deux exemples :

  • la représentation de dieux et héros mythologiques gréco-romains (p. ex. Mercure, Narcisse, Amour, Vénus marine ...) dans la production du duo Pierre et Gilles, connus pour leur photographies retouchées à la peinture, aux couleurs vives, à la mise en scène apprêtée, « de mauvais goût », croisant culture pop, iconographie gay et maniérisme ou baroque sulpiciens. On renvoie ainsi à L'Odyssée imaginaire, Contrejour, 1988, et Corps divin, 2006, préfacé et commenté par l'historien des religions Odon Vallet, ou encore le catalogue de l'exposition Héros, présentée à la galerie Templon en 2014.
  • la tension générique et stylistique à l'œuvre chez le chorégraphe Trajal Harrel, quand il fait se croiser dans une tragédie grecque prototypique (l'Antigone de Sophocle) le voguing new-yorkais, issu des ball-rooms latinos et afro-américains gays (filmés dans Paris is Burning, 1990), et la post-modern dance (résumée par le label Judson Church, d'après un lieu emblématique des années soixante, en danse contemporaine). Il s'agit d'une série de pièces ordonnées du format XS à XL : Paris is Burning at The Judson Church: Extra Small (XS) ; Antigone Jr. (S) ; Medium known as (M)imosa (M) ; Judson Church is Ringing in Harlem (Made-to-Measure) ; et Antigone Sr. (L), sur laquelle on se concentrera, une œuvre d'un troisième type ou genre, en termes de réception active, jugement esthétique, affirmation politique, performativité et trouble dans le genre, voire empowerment empreint d'humour.

Cet écart queer (qualificatif d'abord injurieux, étymologiquement « tordu », désormais repris en termes positifs par les minorités sexuelles qu'il visait à déprécier) permettrait aussi d'observer autrement un art visuel mieux reconnu comme « contemporain », la « représentation » (ou mieux la réactivation plastique - graphique) des héros et dieux mythologiques par Cy Twombly, promu notamment par Roland Barthes, en fait plus camp qu'on ne le dit souvent. Comme si la référence à une antiquité des plus imaginaires, hybridée et populaire à la fois, en arts visuels comme en danse, était à même de revivifier, y compris rétrospectivement, l'art dit contemporain, tout en démontrant la rémanence vivace d'une Antiquité culturelle en constante métamorphose, tension, détournement.

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Manon Champier (Université Toulouse 2 - Framespa / PLH)- Athéna aujourd'hui : entre Antiquité officielle et populaire

À l'heure où l'Éducation nationale stigmatise l'Antiquité et les langues anciennes comme des sujets désuets, inutiles ou encore élitistes, et alors que les programmes s'en trouvent dépouillés, les grandes institutions et les instances officielles continuent pourtant d'afficher clairement cet héritage dans leur imagerie et leurs différentes productions iconographiques. Le paradoxe pose le constat d'un usage persistant de l'Antiquité : celui d'une référence de prestige, comportant à la fois un patrimoine considéré comme commun à la civilisation occidentale et certaines figures associées à des notions qui peuvent contribuer à valoriser ces institutions. Parmi ces figures, on compte bien sûr la grande déesse de la guerre et de la sagesse, Athéna. Ainsi elle a été choisie comme emblème par l'Institut de France, ou plus récemment, comme nouveau logo pour l'Université fédérale de Toulouse.

La déesse se présente comme un terrain fertile pour l'étude de la réception de l'Antiquité et de sa rappropriation de nos jours dans les sphères officielles. Elle permettra de comprendre ce que l'officiel fait dire à l'Antiquité, quelles valeurs il lui fait porter et quelle Antiquité il met en avant. Pour éclairer cette compréhension de "l'Antiquité de l'officiel", nous irons voir du côté de la culture populaire et nous questionnerons l'usage qu'elle fait de la déesse. L'écart entre les deux utilisations de l'Antiquité est-il significatif ? Aujourd'hui, fait-on le même usage partout de la déesse Athéna et de l'Antiquité en général ? Retrouve-t-on les mêmes stéréotypes ? Nous choisirons des exemples grands publics et à large diffusion tels que les Chevaliers du Zodiaque qui, à première vue, contrastent fortement avec l'imagerie officielle. Nous tâcherons de mettre en exergue des traits communs ou des différences dans ces divers usages pour contribuer à la compréhension de la représentation d'Athéna à l'heure actuelle.

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Vincent Chollier (Université Lyon 2 – laboratoire HiSoMA) - Star Wars, les origines antiques du mythe populaire

Pendant ses études, au cours des années 1960, George Lucas se pique d'intérêt pour la philosophie et la mythologie. Il construit le scénario original de Star Wars en s'inspirant notamment des travaux de Joseph Campbell, anthropologue et mythologue américain, portant sur les origines des mythes et des religions. Il soutient la théorie selon laquelle les mythes suivent tous les mêmes schémas archétypaux avec des héros évoluant dans des parcours semblables.

Tel Luke Skywalker suivant les préceptes de son maître Obi-Wan Kenobi, Lucas a respecté les enseignements de son maître, Joseph Campbell. Les deux hommes ont un temps collaboré ; Lucas demandait régulièrement des conseils à son mentor, pour le résultat que l'on connaît aujourd'hui : Star Wars, le mythe contemporain le plus populaire de ces quarante dernières années.

George Lucas l'affirme, « les gens réagissent toujours aux histoires de façon identique ». On comprend alors qu'il ait pu dénicher la matière de Star Wars dans l'une de époques les plus fertiles de l'humanité en matière de mythologie : l'Antiquité.

Les Jedi, la Force, les sabres-lasers, Dark Vador, maître Yoda... La plupart de ses idées et concepts, ont été puisés dans les plus grands mythes de cette époque. Antiquipop sera l'occasion de décrypter Star Wars à l'aune des mythes antiques.

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Pierre Cuvelier (Université Paris X - ArScAn) - Le Choc des titans et ses répliques : diffusion et réappropriation ludique de nouveaux types figurés dans les arts visuels (films, jeux et jouets)

Figures de la cosmogonie hésiodique, les titans connaissent un regain de popularité dans les fictions d’inspiration mythologique depuis quelques décennies. Étape d’une recherche en cours, cette communication part d’un choix représentatif de leurs apparitions dans les arts visuels pour tenter de cerner des types figurés récents montrant l’influence des péplums sur l’iconographie ludique et vidéoludique. Point de départ de l’étude, le film Clash of the Titans de Desmond Davis (1981) élabore une galerie de monstres spectaculaires comme Méduse ou le kraken, baptisés « titans » en dépit de liens assez lâches avec leurs homologues antiques. Il exerce une influence nette sur les créations postérieures et semble marquer le début d’une multiplication rapide des titans dans les fictions mythologiques. Au cinéma, le film d’animation Hercule de Disney en 1997, puis le remake du Choc en 2010 et la suite de ce remake prolongent et infléchissent ces représentations. Mais étendre l’enquête à d’autres supports en étudiant les procédés d’intermédialité montre des reprises de l’iconographie de ces films débouchant sur de véritables types figurés. On s’intéressera ici au cas des jeux vidéo américains Age of Mythology (2002), God of War II et III (2007-2010), à la gamme « LEGO Minifigures » (2010) et au jeu de société français Cyclades.

La nature exacte des liens d’intermédialité unissant ces univers visuels formera le cœur du problème : il n’est pas toujours aisé de savoir si l’on a affaire à un culte du détail geek (Peyron 2013, 132 et suivantes), à une quasi-copie opportuniste ou au simple prolongement par les deux œuvres de types iconographiques préexistants. Il reste certain que ces reprises visuelles s’effectuent en dehors du cadre des franchises (ces jeux ne sont pas des produits dérivés des films). La nécessité d’opérer une réinvention partielle du type pour éviter tout conflit légal constitue une contrainte fertile pour les créateurs et aboutit à une série de variantes dont la récapitulation met en évidence les caractéristiques récurrentes et les innovations singulières. La Méduse du Choc de 1981 a donné naissance à un type figuré nouveau caractérisé par son aspect serpentiforme, mais n’a pas abouti à recatégoriser Méduse comme « titan ». Cependant, l’emploi du mot a contribué à un retour des titans hésiodiques. Leurs représentations semblent subsumer des types figurés préexistants variés, parfois beaucoup plus anciens (l’assimilation des titans aux géants, leur lien avec les éléments naturels).

Outre les modalités de la diffusion de ces types figurés, on examinera les conséquences du passage du filmique au ludique. L’interaction avec des créatures monstrueuses répond en partie à la même recherche de grand spectacle que le cinéma lorsqu’il s’agit de combattre contre elles ou à leurs côtés. Mais certains types de jeux incluant davantage d’invention (Age of Mythology et les LEGO) extraient complètement ces figures de leur contexte narratif premier afin de les rendre manipulables en jeu. Elles rendent ainsi possibles des réinventions complètes.

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Nikol Dziub (Université de Haute Alsace - ILLE)- Les Sirènes, d'Homère à Harry Potter

Que deviennent les sirènes dans la culture populaire contemporaine ? Comment la figure de la sirène évolue-t-elle depuis Homère jusqu’à Harry Potter (Harry Potter and the Goblet of Fire, 2005) ? Telles sont les questions auxquelles nous aimerions répondre. Les sirènes du « Chant XII » de L’Odyssée (qui, d’après certains indices grammaticaux fournis par le texte grec, ne seraient que deux) ne sont pas visibles : elles ne sont qu’audibles. Leur chant est redoutable (Circé prévient Ulysse, qui, on le sait, est suffisamment rusé pour triompher de la tentation) et leur savoir, périlleux (selon l’expression d’Hélène Vial). Certes, les portraits de sirènes antiques (Platon, Le République, Phèdre ; Apollonios de Rhodes, La Bibliothèque d’Apollodore, Les Argonautiques orphiques ; Ovide, Les Métamorphoses) puis médiévaux (on pensera à la Mélusine de Jean d’Arras, qui, à bien des égards, s’apparente à une sirène) ou renaissants (Paracelse notamment s’est occupé des ondines) sont loin de concorder toujours, et l’Ulysse de Dante cède à la tentation du plus ultra – qui, soit dit en passant, n’est plus « incarnée », par les sirènes, qui ne sont présentes en creux que pour le lecteur moderne, Dante n’ayant pas lu Homère.

Ces discordances signalées, il n’en demeure pas moins que les sirènes apparaissent constamment comme des figures de la transgression, de la tentation, de la séduction, de l’illusion – en un mot de l’ambiguïté. Le monde qu’elles habitent est hybride, rutilant et mortel, et elles-mêmes sont doubles : mi-femmes, mi-oiseaux, puis mi-femmes mi-poissons. C’est qu’elles sont des créatures démoniaques de midi, heure nulle, heure du basculement. Roger Caillois et Pietro Citati l’ont rappelé aux lecteurs contemporains, et Harry Potter ne l’a pas oublié, qui, parti combattre les sirènes, ne peut respirer sous l’eau que jusqu’à midi. Le chant des sirènes potteriennes reprend certains éléments de l’imaginaire proposé par Homère : séparation des deux mondes, celui des hommes, celui des sirènes, discours trompeur (mais qui curieusement s’annonce tel) des sirènes ; d’autres aspects sont empruntés à Andersen (les sirènes regrettent de ne pas pouvoir rendre visite aux êtres humains) et aux frères Grimm (les sirènes enlèvent les hommes) :

Come seek us where our voices sound,

We cannot sing above the ground,

And while you’re searching, ponder this:

We’ve taken what you’ll sorely miss,

An hour long you’ll have to look,

And to recover what we took.

But past an hour – the prospect’s black

Too late, it’s gone, it won’t come back.

Reste que, si les (nombreuses) sirènes potteriennes ne sont guère séduisantes, Disney joue en revanche sur le potentiel commercial de la beauté très « standardisée » de la Little Mermaid (dont les aventures, très librement inspirées de celles de la Petite Sirène d’Andersen, ont fourni la matière de trois films d’animation – The Little Mermaid, 1989 ; The Little Mermaid II : Return to the Sea, 2000 ; The Little Mermaid : Ariel’s Beginning, 2008). 

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Aline Esteves (Université Montpellier III - CRISES) - Death Proof de Quentin Tarantino : un reboot populaire du mythe des Amazones

Le film Death Proof obéit à une composition dramaturgique bipartite. Le premier volet adapte les codes du slasher, en mettant en scène Mike, tueur psychopathe, cascadeur automobile, qui au volant de son bolide traque puis assassine un groupe de jeunes femmes en provoquant sciemment un accident brutal. Le deuxième volet le montre aux prises avec un deuxième groupe de jeunes femmes, qui lui opposent une résistance inattendue – deux d'entre-elles, Zoë et Kim, s'avérant être, elles aussi, des cascadeuses automobiles. Après une première course-poursuite dont elles parviennent à sortir indemnes, elles prennent à leur tour leur agresseur en chasse. Le film se termine sur le spectaculaire passage à tabac du psychopathe par les jeunes femmes.

Je souhaiterais démontrer que la seconde partie du film, qui inverse des codes du slasher, convoque à de multiples égards, sous la forme d'un reboot contemporain, le mythe des Amazones. Je m'attacherai à étudier tout particulièrement, dans cette perspective, les indices éthiques, dramatiques et esthétiques qui signalent l'intention d'actualiser, en les remodelant, les représentations antiques du mythe.

 Le portrait « éthique » de Zoë et Kim les apparente en effet à des amazones antianeirai : leur discours consiste à revendiquer une égalité totale avec les hommes, ou à affirmer leur supériorité sur eux ; leur « panoplie » vestimentaire permet de les identifier comme des guerrières, et constitue un affichage « genré » qui sollicite à la fois féminité, homosexualité et virilité ; elles présentent d'évidentes aptitudes morales et physiques au combat.

Q. Tarantino offre cependant à ces amazones modernes un destin inhabituel. En effet, quand les amazones mythologiques sont vaincues ou meurent au combat, le film se clôture sur la victoire des jeunes femmes contre leur agresseur. La construction du film dédouble en miroir les effets de diptyque afin de dramatiser ce finale inversé. Deux scènes emblématiques soulignent en outre la distance prise avec l'horizon d'attente traditionnel du mythe : le rebondissement que constitue la « résurrection » de Zoë ; la supplique « please don't dead end » dont les jeunes femmes ponctuent la poursuite de leur agresseur, depuis une route adjacente.

La composition esthétique du film soutient cette réécriture dramatique. On perçoit quelques références distanciées aux productions hollywoodiennes figeant les personnages féminins dans la posture de victime impuissante. La scène finale, extrêmement chorégraphiée, s'adosse par les ralentis, les arrêts sur image, les choix de cadrage, aux scènes de combat qui caractérisent les films « héroïques » populaires. L'objectif, en offrant à la victoire des jeunes femmes un cadre esthétique habituellement réservé aux victoires masculines, est de conférer un caractère spectaculaire au processus d'inversion du destin des femmes, victimes ou amazones, que met en œuvre le film.

Cette version « popularisée » du mythe demeure profondément signifiante : elle s'accompagne d'un discours féministe qui interroge les schémas sociaux régissant les rapports hommes-femmes dans les représentations culturelles occidentales – ranimant ainsi une problématique idéologique inhérente au mythe des Amazones.

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Flore Kimmel-Clauzet (Université Montpellier III - CRISES) - Eschyle et la tortue : une mort stupide ?

Le récit de mort d'Eschyle fait toujours sensation dans les dîners. Même pour un auditoire qui ne connaît pas le poète tragique et a bien du mal à orthographier correctement son nom, l'idée qu'on puisse mourir d'un coup de tortue sur la tête (lancée par un aigle, qui plus est) suscite non seulement le rire, mais aussi un mélange d'étonnement et de fascination, correspondant assez bien à ce que les Grecs nommaient thauma. Cette mort, qui semble aux modernes plus comique que tragique, a donné son titre à un ouvrage récent, véritable succès de librairie, né justement, de l'aveu des auteurs, d'une de ces conversations joviales autour d'un repas bien arrosé : La tortue d'Eschyle et autres morts stupides de l'histoire (B. Léandri et alii, 1re éd. 2012, réed. en poche 2014).

Mais l'analyse du récit antique, que j'ai menée en détail dans un ouvrage scientifique récent (Morts, tombeaux et cultes des poètes grecs, Ausonius Éditions, Bordeaux, 2013, p. 73-80) montre que, loin d'être « stupide », cette mort était signifiante. La fascination qu'elle a suscité à travers les siècles révèle, outre son potentiel comique, la puissance symbolique du récit, sa capacité à provoquer la réflexion et à inspirer la création artistique. Je propose d'examiner, des textes antiques aux représentations figurées et à la culture mainstream (un épisode des "Experts Las Vegas" datant de 2009 est tout entier fondé sur ce récit), des réécritures classiques (La Fontaine) aux évocations contemporaines (Gavalda, Histoire du théâtre illustrée de Degaine), la portée du récit, les enjeux des réécritures et des exploitations diverses auxquelles la légende antique a donné lieu. En outre, popularisé ces dernières années par la série américaine et l'ouvrage de B. Léandri et de ses amis, le récit de mort d'Eschyle fait désormais partie des choses qu'il « faut savoir » (sur un forum qui en fait état, les participants sont incités à choisir entre « je le savais déjà » et « je me coucherai moins bête »). Il a été relayé sur des blogs et forums, où il a suscité de nombreux commentaires, dans lesquels on retrouve parfois les attitudes des anciens, comme l'explication « scientifique », dans la lignée de Pline, qui se réfère aux pratiques alimentaires bien connues de certains rapaces : je m'intéresserai plus précisément à la réception du récit telle qu'elle s'exprime dans les blogs et réseaux sociaux ainsi qu'à l'image que le numérique donne de la culture antique et de sa place dans notre société.

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Julie Labrégère (Université de Tours - CeTHis) - The Etruscan Horror Picture Show

L'antique civilisation étrusque, depuis sa redécouverte à l'époque de la Renaissance, a engendré une riche littérature ayant trait au fameux « mystère étrusque », dont la construction imaginaire se base sur deux caractéristiques principales : des inscriptions révélant une langue énigmatique et isolée, et un patrimoine archéologique constitué essentiellement de vastes nécropoles et de riches tombes parfaitement conservées, alors que toute autre trace de la civilisation étrusque a pratiquement disparu.

La fascination exercée par les images peintes dans les tombes étrusques, les figures terrifiantes des dieux et démons de l'au-delà, le mythe de la malédiction s'abattant sur les profanateurs de tombes, a donné lieu à un réemploi de la démonologie étrusque dans un domaine bien précis de la culture populaire contemporaine : le film d'horreur.

À partir des années 1970, plusieurs réalisateurs italiens de série B ont réutilisé la représentation romantique et angoissante de l'au-delà étrusque (créée par les écrivains et poètes du XIXe/début XXe, notamment G. D'Annunzio, ) comme ressort narratif principal de films d'épouvante :

  • L'Etrusco uccide ancora (L'Etrusque tue encore), 1972, Armando Crispino
  • Assassinio al cimitero etrusco (Assassinat au cimetière étrusque), 1982, Sergio Martino (pseudo: Christian Plummer)
  • Ossidiana, 1992, Marcello Felici
  • The Etruscan Mask (Le Masque étrusque), 2007, Ted Nicolaou

Deux maitres du genre, Mario Bava (La Maschera del demonio /Le Masque du démon, 1960) et Dario Argento (La Sindrome di Stendhal / Le Syndrome de Stendhal, 1996), ont également utilisé des éléments issus de cet imaginaire en montrant l'art étrusque sous un jour macabre et inquiétant.

Il est intéressant d'observer la récurrence de certains thèmes entre les différents scénarios :

  • les événements sanglants ou effrayants sont systématiquement liés à l'univers des tombes et des nécropoles ;
  • les personnages principaux sont des archéologues ou des ethnologues (ou des étudiants dans ces disciplines), souvent d'origine étrangère (américains) ;
  • le caractère à la fois macabre et sexuel de l'intrigue, à travers l'évocation de sacrifices ou de crimes rituels
  • une interférence avec le monde de l'au-delà et des esprits intervient à travers des visions, des voix ou des objets maléfiques : masque funéraire, sarcophage, peintures représentant démons et scènes de sacrifices

Comment ces images issues de la civilisation étrusque deviennent elles des motifs récurrents dans l'imaginaire fantastique développé par ces films ? Quelles sont leurs sources, d'où proviennent-elles ? Quelles influences peut-on observer entre ces films, ainsi que sur les productions télévisuelles de la même époque ? Comment ces films ont-ils été reçus par le public ? Autant de questions qui permettent d'appréhender la réception de la civilisation étrusque dans la culture populaire contemporaine et les multiples passerelles entre littérature et cinéma, ainsi que la continuité et la permanence de l'imaginaire lié au « mythe » étrusque qui s'est forgé en parallèle, mais de manière autonome, aux découvertes et aux progrès de l'archéologie moderne.

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Francesca Onnis (Université Lyon 2 - Archéorient) - Ex Oriente peplum : l’Orient ancien représenté et imaginé au cinéma

Tout un pan du cinéma de genre péplum, à sujet historique, mythologique ou biblique, a comme cadre les pays du Proche-Orient ancien. En replongeant dans les décors recréant ce monde et en rencontrant les personnages qui l’ont habité, il s’agira d’en vérifier la fidélité, entre le devoir de cohérence historique et la place laissée à l’imagination, pour l’art et pour le spectacle. Nous verrons également comment ces reconstructions reflètent la conception que la culture populaire du XXe siècle et du XXIe s’est faite de l’Orient ancien, et dans quelle mesure celle-ci est liée d’une part à la tradition, et d’autre part au rapport que la civilisation occidentale entretient avec l’Orient d’aujourd’hui.   

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Yves Perrin (Université Jean Monnet - HiSoMA) - Un empereur star au XXIe siècle : Néron dans la caricature politique et la publicité

Résumé à venir

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Stéphane Rolet (Université Paris VIII - Littérature, histoires, esthétique  EA 7322) - L'Antiquité dans Game of Thrones : une présence paradoxale

Il est manifeste que l'Antiquité est présente au cœur même de Game of Thrones, sous la forme de son motif peut-être le plus emblématique, le Mur. Pourtant il serait erroné de croire que c'est là l'unique trace antique repérable dans la série. En effet des motifs gréco-romains, égyptiens ou mésopotamiens, comme les souterrains de la Maison du Noir et du Blanc, le Titan de Braavos ou les pyramides de Meereen viennent régulièrement émailler la série qui, comme les romans dont elle adaptée, passe pourtant pour relever de la medieval fantasy. Comment expliquer dans ces conditions la présence remarquable de cette Antiquité multiface, entre évidence et dissimulation ? Quel statut possède donc l'Antiquité dans l'architecture de la série ?

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Roberto Salazar (Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines - CRHI) - It's Greek to me : les langues anciennes dans l'imaginaire populaire contemporain (1990-2016)

De nombreux ouvrages ont été consacrés à la reprise de thèmes antiques dans la culture populaire. Cependant, l'usage des langues anciennes elles-mêmes comme objets culturels, et leur transfert d'une sphère culturelle à l'autre, déplacement qui les rend opaques a été souvent négligé, tant par les études de réception au sens classique, que par les études culturelles. Dans le contexte d'une réforme qui remet en question l'intérêt même et la valeur de l'enseignement des langues anciennes et qui le fait reposer sur une idée convenue de ce qui représente leur essence-même, et leur prétendue utilité (l'étymologie, la mythologie, la grammaire), il est urgent de s'interroger sur la résurgence effective du latin et du grec dans l'imaginaire populaire.

Malgré les apparences, la présence de ces langues dans la culture populaire est tenace, et paradoxale et on peut l'étudier selon trois grands axes. Il faut d'abord interroger l'absence de ce référent linguistique dans les objets de culture « pop » les plus directement inspirés de l'antiquité : péplums, séries, adaptations dont le sujet est antique et où le latin et le grec sont presque absents, tant et si bien que ces œuvres sont, par la suite, souvent traduites dans ces langues. On tâchera ainsi de comprendre en quoi ceci arrache, au moins partiellement, ces œuvres à leur contexte signifiant. Inversement, d'autres productions narratives (télévision, roman, cinéma) exploitent le latin et le grec seuls, en tant que langues détachées de leur contexte antique, et liées plutôt à l'univers de l'occulte, du livresque, sans référence chronologique précise.

Nous exploiterons notamment des exemples tirés de Buffy : The Vampire Slayer (1997-2003) et d'Angel (1999-2004), ainsi que l'arsenal de mots latins employés dans Harry Potter (1997-2007). Associées à des pratiques livresques, coupées de l'oralité première, séparées de l'auteur, des auteurs, les langues anciennes sont présentées comme des objets clos sur eux-mêmes, qui ne nous parlent pas ou alors seulement pour nous charmer, nous tromper ou nous défendre, évinçant toute idée de communication. Livresques, ces langues sont également l'antithèse du numérique, qu'elles hantent pourtant: l'inscription latine « Temet nosce », visible chez Oracle dans Matrix (1999-2003), est l'une des clés narratives de ce film truffé d'allusions au latin et au grec. Il semblerait d'ailleurs (Rico, « La sixième renaissance ») que les possibilités de diffusion autorisées par le numérique aient créé un public plus large pour l'Antiquité et pour ses langues : faut-il voir dans le nombre croissant de traductions (de BD, des livres de Tolkien, de Harry Potter) vers les langues anciennes un dernier cri de désespoir des professeurs de latin cherchant à tout prix à sauver cette peau de chagrin, ou alors la possibilité d'une revitalisation du latin et du grec ? Nous clorons ainsi notre propos en revenant sur le sens de cette activité de traduction (dont le nombre et la visibilité augmentent exponentiellement depuis quelques décennies), et sur les défis (culturels, méthodiques, philosophiques) que cette plus grande visibilité des langues anciennes implique pour les enseignants, les chercheurs et les étudiants de lettres classiques, à l'heure ou leurs disciplines sont le plus contestées.

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Arnaud Saura-Ziegelmeyer (Université de Toulouse - PLH-ERASME) - L’Antiquité et les Real Time Strategy Game : représentations sonores

La rencontre entre l’Antiquité et les jeux vidéo se fait en grande partie autour du genre des Real Time Strategy Games, en français les Jeux de Stratégie en Temps Réel. Le genre se développe en effet à partir de la fin des années 1990 et connaît une croissance considérable dans les années 2000. Jusqu’ici souvent cantonné au médiéval-fantasy ou à la science-fiction, et même si l’Antiquité n’est pas absente des précurseurs ou des sorties à succès, le genre intègre cette dernière pleinement à partir de 1998, lui consacrant des opus entiers.

Notre proposition de communication souhaite s’interroger sur les représentations sonores et musicales faites de l’Antiquité dans ces différents jeux, tous les éléments du gameplay étant par ailleurs difficilement présentables en une intervention. Sur la seule partie sonore de ce dernier, on souhaite montrer quels éléments sont utilisés et dans quel(-s) but(-s). On se placera alors aussi bien du côté de la conception que du côté de l’utilisateur. L’organisation sonore du jeu, comme l’utilisation de termes en langues anciennes dans les dialogues, les bruits associés à certains objets, ou l’ambiance musicale plus générale seront évoqués. Si certains procédés relèvent d’une pratique commune à bien des RTSG voire à d’autres médias, le choix de l’Antiquité amène plusieurs spécificités.

L’analyse propose de se baser sur plusieurs exemples choisis (Age of Empire I, Rome Total War, Age of Mythology, etc.) afin d’adopter une démarche comparative. On essaiera de montrer que l’Antiquité musicale est présente bien au-delà du simple aspect esthétique et qu’elle répond à plusieurs clichés de la part des concepteurs. Bien d’autres versants du jeu doivent être désormais pris en considération et explorés dans l’évaluation de sa réception. Si certains stéréotypes sont clairement redondants, chaque jeu offre bien évidemment des spécificités et parfois des innovations.

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Carla Scilabra (Università degli Studi di Torino) - When Apollo tasted sushi for the first time

It has been long argued in literature that Japanese manga artists, at least not all of them, and even more so the local audience should not be really supposed to be familiar with Greco-roman history and myth. Anyway that many works in the manga production of the last four decades represent elements taken from the classical heritage is a fact.

The first examples of this production can be found in some works dating to the late Sixties and the Seventies, from Osamu Tezuka’s masterpieces (such as Unico, Umi no Toriton, Apollo no Uta and Phoenix) to Go Nagai’s robot saga Mazinger Z and The Great Mazinger passing trough world-famous series (like Hideo Azuma’s Olympus no Poron) and comics that are barely known outside of Japan boundaries, like Mitsuteru Yokoyama’s Mars and Yuho Asibe’s Deimosu no Hanayome.

The influence of Western comics on the growing up production of manga, starting from the end of the second World War was strong, as it can be noticed in some technical detail, both in a graphical way, like in some Disney-like details that characterize the series meant for children, and in a story-telling perspective, as the preference accorded to longer series suggests. Yet, at first the influence of the Western productions and culture didn’t go as far as to involve a reception of the Greco-Roman history and mythology.

Truth to be told, mangas aren’t the only stream in Japanese pop-culture that underwent the spell of the classical heritage: the post war Japanese literature put on stage a variety of texts in which the reception and interpretation of the Mediterranean ancient culture are the main protagonists. It is impossible not to think about Yukio Mishima (1925-1970) whose production is literally full of plays and novels that represent a modern retelling of Greek mythology and literature, at least from his Niobe (1951). On the other side, the classical heritage isn’t the only element taken from Western culture and folklore that had a strong influence on the manga artists working between the Sixties and the Seventies: at the same time an even bigger influence was the one from the European literature, as the Sekai Meisaku series (The “world masterpieces theatre”, aired since 1969 and putting on stage titles such as Heidi, Little Women, Anne of Greengable and Pollyanna) testifies.

Given such premises, this paper will analyze the first appearance of the classical heritage in the mangaka’s imaginary world, as it shows form the works dating to this first generation in order to understand the reasons behind this choice and, more importantly, the meaning of it. Admiration, adversity, representation of otherness, fairy-like stages and exotic scenarios: this is what can be found in the different works that will be put under study. 

Understanding the cultural, social and political background that brought to the creation of such different interpretation of the Greco-roman heritage, as well as analyzing how the main audience at whom the single works were directed influenced this construction, is the final aim of this presentation.

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Nadège Wolff (ENS Lyon - HiSoMA) - Les références à l'Antiquité dans le rap : entre affirmation et ambiguïté identitaire

Ces dernières années, les références à l'Antiquité se font toujours plus nombreuses dans l'univers du rap, musique populaire par excellence. Ces références peuvent être ponctuelles, prenant la forme d'une simple mention au détour d'une chanson (procédé courant chez Booba) ou au contraire en constituer le thème central (comme le titre  « Troie » d'Akhenaton). Mais le plus souvent, ces références à l'Antiquité ne se contentent pas de s'inscrire dans le seul texte des rappeurs ; elles sont bien plutôt mises en scène à grand renfort d'images, en arrière-plan de leurs clips (comme dans Power de Kanye West ou California Roll de Snoop Dogg, Stevie Wonder et Pharrell Williams), de leurs pochettes de disques (sur les albums Nero Nemesis de Booba, ou Subliminal de Maître Gims) ou encore dans leur tenue (sweaters avec le buste de Toutankhamon, chaînes avec des hiéroglyphes, sneakers ailées comme les sandales d'Hermès, tatouages en forme de chouette ou comportant des citations latines...). Dans le rap, qu'il soit français ou américain, l'Antiquité semble partout, qu'elle soit égyptienne (surtout dans le rap noir américain), gréco-romaine ou encore assyrienne, et entretenir une sorte de rapport privilégié avec ce mode d'expression musical.

L'enjeu de cette communication sera de déterminer la nature de ces rapports, en montrant d'abord que les références à l'Antiquité construisent un univers de représentations hétéroclites dans le monde du rap, en s'inscrivant dans le langage, la mode et les images, et que cet univers de représentations peut prendre une forte valeur d'affirmation de soi, en particulier d'une affirmation identitaire (l'Egypte antique pour le rap noir américain, les Troyens pour Akhenaton) motivée par un sentiment d'appartenance et de (pseudo)filiation ou conférant une supériorité sur les autres rappeurs  dans un contexte d'expression musicale très marquée par la concurrence entre les egos des chanteurs (Kanye West en pharaon apparaît ainsi en majesté face à Eminem). Cependant, aussi valorisante soit-elle, l'Antiquité est à l'occasion vouée aux gémonies par les rappeurs qui ont tôt fait de passer sur des références qui sont parfois en réalité inconscientes, mal maîtrisées ou même dévalorisées : ainsi d'un Booba qui multiplie à l'envi les références à l'Antiquité pour ensuite jeter à la poubelle les dinosaures du rap en s'exclamant : « NTM, IAM, Solaar, c'est de l'Antiquité ». Preuve s'il en est que les rapports entre rap et Antiquité sont loin d'être monovalents, et que, si les références antiques peuvent à l'occasion être un moyen d'identification et d'affirmation identitaire, elles ne sont en réalité qu'un mode de mise en scène de soi parmi d'autres et risquent à tout instant d'être congédiées. Sic transit gloria mundi...

  1. Le rap et l'Antiquité, ou la construction d'un univers de représentations culturelles hétéroclites.  Il s'agira de montrer que le rap s'inscrit parfois dans des univers de représentations antiques, en analysant les différents niveaux de référence, de l'allusion textuelle à la mise en scène élaborée, niveaux révélateurs du degré d'implication et d'adhésion du rappeur à cet univers antique. Nous tenterons également de déterminer la place qu'occupent les différentes aires culturelles de l'Antiquité dans les univers de représentation ainsi construits (la référence à l'antique se faisant à plusieurs niveaux, dans le décor, dans le texte, dans l'habillement). 
  2. Les références à l'Antique pour s'affirmer : entre appartenance à un groupe et affirmation de sa singularité.  Nous verrons ensuite la valeur que prennent ces références à l'antique dans le rap, l'un des objectifs de cette inscription ponctuelle dans l'Antiquité étant de créer une communauté de références souvent prestigieuses (les pharaons pour les rappeurs noirs américains) afin d'affirmer son identité par rapport à un passé commun (l'Egypte antique étant prise comme une métonymie de l'Afrique entière au temps de sa splendeur) ou au contraire d'affirmer sa propre originalité contre ses concurrents rappeurs, l'antique servant la guerre des égos. 
  3. Rap et Antiquité, un drôle de mélange ? Ambiguïté et confusion des références.  Enfin, on constatera qu'il existe des ambiguïtés, voire une solution de continuité dans le rapport qui unit le rap au monde antique. Ce dernier est en effet souvent finalement méconnu, se réduisant à des caricatures très vite mélangées à d'autres univers de références non antiques, comme dans California roll, où Los Angeles se transforme en cité égyptienne pleine de pyramides, exemple prouvant que c'est surtout le régime de l'allusion qui prime, en instaurant un rapport finalement ténu entre le rap et l'Antiquité. Parfois, les rappeurs n'hésitent pas à brûler ce qu'ils ont adoré, piétinant l'antique en assumant au besoin le statut de barbares fossoyeurs (comme Booba le Hun). 

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